Sortir de l’hôpital, c’est souvent une bonne nouvelle. Mais pour beaucoup, ce moment marque le début d’une autre bataille : comprendre quelles médicaments reprendre, lesquels arrêter, et surtout, éviter les interactions dangereuses. Entre les médicaments pris avant l’hospitalisation, ceux prescrits pendant le séjour, et les nouvelles ordonnances à la sortie, il est facile de se perdre. Et les conséquences peuvent être graves : hospitalisations évitables, saignements, insuffisance rénale, ou même décès. La réconciliation médicamenteuse n’est pas un simple formulaire à remplir - c’est un processus vital, et vous devez en être acteur.
Qu’est-ce que la réconciliation médicamenteuse ?
C’est la comparaison systématique entre les médicaments que vous preniez avant d’être hospitalisé et ceux qui vous sont prescrits à la sortie. L’objectif ? Identifier les oublis, les doublons, les changements de dose, ou les combinaisons dangereuses. Selon l’Agence pour la Recherche et la Qualité en Soins de Santé (AHRQ), ce processus réduit les événements indésirables liés aux médicaments de 30 à 50 %. Pourtant, seulement 65 % des hôpitaux le font correctement à la sortie, selon une étude de 2022 de la Société américaine de pharmacie hospitalière.La plupart des erreurs ne viennent pas d’un oubli du médecin, mais d’un manque d’information. Les patients ne se souviennent pas de tous les médicaments qu’ils prennent - surtout les compléments, les vitamines, ou les traitements en vente libre. Une étude montre que les déclarations des patients contiennent jusqu’à 42 % d’erreurs. En revanche, la liste des médicaments dans le résumé de sortie est la plus fiable, avec seulement 17 % d’erreurs.
Les trois erreurs les plus courantes à la sortie
La plupart des problèmes viennent de trois sources :
- Omission : Un médicament pris avant l’hospitalisation n’est pas rétabli à la sortie. C’est le cas pour 42,7 % des erreurs. Par exemple, un patient sous warfarine (anticoagulant) voit son traitement arrêté avant une chirurgie, mais il n’est pas réactivé à la sortie - ce qui augmente le risque de caillot sanguin et de réhospitalisation.
- Doublon : Un médicament déjà pris est prescrit à nouveau. Un patient prend déjà du paracétamol à domicile, et on lui prescrit un autre analgésique contenant du paracétamol à la sortie. Résultat : surdosage, risque de lésion hépatique.
- Changement de dose ou de fréquence : La dose a été modifiée à l’hôpital, mais la nouvelle posologie n’est pas clairement expliquée. Un patient qui prenait 10 mg de lisinopril par jour se voit prescrire 5 mg, mais ne sait pas qu’il doit prendre la moitié. Il reprend l’ancienne dose, et sa pression artérielle devient instable.
Les patients en soins intensifs ont 2,3 fois plus de risques de voir un médicament chronique arrêté et non rétabli. Ceux qui prennent cinq médicaments ou plus sont aussi les plus vulnérables - ils représentent 29 % de la population adulte aux États-Unis, et 62 % d’entre eux ne comprennent pas bien leurs instructions de sortie.
Que faire avant de quitter l’hôpital ?
Ne partez pas sans avoir fait trois choses :
- Apportez une liste complète de vos médicaments : Pas juste les ordonnances. Incluez les vitamines, les suppléments (ginseng, curcuma, huile de poisson), les herbes, et même les traitements en vente libre comme l’aspirine ou l’ibuprofène. Utilisez une feuille imprimée ou une capture d’écran de votre pharmacie en ligne. Si vous ne l’avez pas, demandez à votre pharmacien de vous la fournir.
- Exigez une révision orale et écrite : Ne vous contentez pas d’un papier à signer. Demandez à un médecin ou un pharmacien de vous expliquer, mot à mot, chaque changement. Posez cette question simple : « Quel médicament ai-je arrêté ? Lequel ai-je ajouté ? Et celui que je reprends, à quelle dose ? »
- Obtenez une liste mise à jour et signée : Cette liste doit être claire, lisible, et inclure le nom du médicament, la dose, la fréquence, et la raison du changement. Exemple : « Lisinopril 5 mg - 1 comprimé par jour - pour tension artérielle (dose réduite après hospitalisation). »
Les hôpitaux sont tenus de fournir cette liste. Si ce n’est pas le cas, demandez-la. Et si on vous dit « on va l’envoyer à votre médecin », demandez : « Et si je dois le voir dans 48 heures ? Comment je fais ? »
Les médicaments à risque : les plus dangereux à réconcilier
Certaines classes de médicaments sont particulièrement à risque si mal réconciliées :
- Anticoagulants (warfarine, rivaroxaban, apixaban) : Une omission ou un changement de dose peut provoquer un caillot ou un saignement. La discontinuation non rétablie est à l’origine de 3,2 % des réhospitalisations évitables chez les patients âgés.
- Statines (atorvastatine, rosuvastatine) : Arrêtées pendant l’hospitalisation pour une infection ou un traitement, elles sont parfois oubliées à la sortie. Résultat : risque accru de crise cardiaque.
- Antidiabétiques (metformine, insuline) : Les changements de régime alimentaire à l’hôpital modifient les besoins en insuline. Si la dose n’est pas ajustée à la sortie, vous risquez une hypoglycémie sévère.
- Antidépresseurs et anticonvulsivants : Arrêt brusque → risque de rechute, crises, ou syndrome de sevrage.
- AINS et corticoïdes : Combinaison avec anticoagulants → risque de saignement gastro-intestinal.
Si vous prenez plus de trois de ces médicaments, demandez une consultation pharmacologique avant de sortir. Les pharmacies hospitalières sont de plus en plus présentes - et elles peuvent vous aider à décrypter votre traitement.
Après la sortie : les 72 heures critiques
Le premier jour à la maison est le plus risqué. Votre corps est encore en mode « hospitalier ». Les signaux d’alerte sont souvent ignorés.
- Consultez votre pharmacien dans les 48 heures : Il peut vérifier votre liste, détecter les interactions, et vous expliquer les effets secondaires. En France, les pharmaciens ont accès à votre dossier médical partagé - profitez-en.
- Utilisez un agenda ou une boîte à comprimés : Ne comptez pas sur votre mémoire. Une boîte avec cases pour matin, midi, soir, et nuit vous évitera les doublons ou les oublis.
- Écoutez votre corps : Si vous avez une fatigue inhabituelle, des étourdissements, des nausées, une perte d’appétit, ou des saignements inexpliqués, appelez immédiatement votre médecin ou votre pharmacien. Ce n’est pas « juste une mauvaise journée » - c’est peut-être une interaction.
Une étude en cours (TRANSITION, 2024) montre que des appels téléphoniques de pharmacien à 48 heures et 7 jours après la sortie réduisent les visites aux urgences liées aux médicaments de 18,7 %. Ce n’est pas magique - c’est de la prévention simple.
Les outils qui peuvent vous aider
La technologie n’est pas la solution, mais elle peut être un allié :
- Application de gestion des médicaments : Medisafe, MyTherapy, ou même l’application de votre pharmacie locale permettent de scanner les boîtes, recevoir des rappels, et partager la liste avec votre médecin.
- Dossier Médical Partagé (DMP) : En France, il contient vos ordonnances et vos bilans. Vérifiez qu’il est à jour après votre sortie. Si ce n’est pas le cas, demandez à votre médecin de le mettre à jour.
- Site de la Sécurité Sociale : Vous pouvez consulter vos remboursements de médicaments. Si vous voyez un médicament qui n’est plus remboursé, c’est peut-être qu’il a été arrêté - mais vérifiez avec votre médecin.
Ne vous fiez pas uniquement à Google pour comprendre vos médicaments. Une recherche rapide sur « warfarine + ibuprofène » peut vous faire peur - mais sans contexte, vous risquez de mal interpréter. Parlez à un professionnel.
Qui est responsable ?
Vous pensez que c’est au médecin de tout gérer ? C’est vrai - mais ce n’est pas suffisant. La réconciliation médicamenteuse est une responsabilité partagée :
- Le médecin : doit fournir une liste claire et vérifiée.
- Le pharmacien hospitalier : doit vérifier les interactions et éduquer le patient.
- Le pharmacien de ville : doit réconcilier les ordonnances à la reprise.
- Vous : devez apporter une liste précise, poser des questions, et signaler tout changement inhabituel.
La loi américaine exige que les hôpitaux réconcilient les médicaments avant la sortie. En France, ce n’est pas encore obligatoire à la même échelle, mais les bonnes pratiques sont reconnues. Si vous êtes mal informé, vous avez le droit de demander une révision.
Un exemple réel : ce qui peut mal tourner
Un patient de 72 ans, sous aspirine et lisinopril pour son cœur, est hospitalisé pour une pneumonie. Pendant son séjour, il reçoit du paracétamol pour la fièvre, et on lui arrête l’aspirine pour éviter les saignements. À la sortie, il reçoit une ordonnance pour le lisinopril et le paracétamol - mais pas pour l’aspirine. Il pense que l’aspirine n’était plus utile. Il ne la reprend pas. Trois semaines plus tard, il fait un infarctus. L’aspirine avait été arrêtée pour une raison temporaire - mais jamais rétablie.
Ce scénario est fréquent. Et il est évitable.
Que faire si je ne comprends pas mes nouveaux médicaments à la sortie ?
Demandez à parler à un pharmacien hospitalier avant de partir. S’il n’y en a pas, demandez à votre médecin de vous expliquer chaque médicament à haute voix, et demandez-lui d’écrire la raison du changement sur la liste. Si vous n’êtes pas sûr, ne prenez pas le médicament. Appelez votre pharmacien de ville ou le service d’urgence de votre hôpital. Mieux vaut attendre une clarification que prendre un risque.
Les compléments alimentaires peuvent-ils causer des interactions ?
Oui, et souvent de façon grave. L’huile de poisson et le ginseng augmentent le risque de saignement avec les anticoagulants. Le St-John’s wort réduit l’efficacité des antidépresseurs et des contraceptifs. Même les vitamines en forte dose peuvent interférer avec les traitements. Ne les omettez jamais de votre liste - même si vous les pensez « inoffensifs ».
Combien de temps après la sortie dois-je consulter mon médecin ?
Idéalement, dans les 7 à 14 jours. Mais si vous prenez cinq médicaments ou plus, ou si vous avez une maladie chronique (diabète, insuffisance cardiaque, maladie rénale), demandez une visite de suivi dans les 48 à 72 heures. Certains hôpitaux proposent des visites de transition - demandez si vous y avez droit.
Mon médecin ne m’a pas donné de liste écrite. Que faire ?
Demandez-la immédiatement. Si on vous répond « on va l’envoyer à votre médecin », insistez : « Et si je dois le voir demain ? Comment je fais pour savoir quoi prendre ? » Vous avez le droit d’avoir une copie écrite et signée. Si vous êtes en France, vous pouvez aussi consulter votre Dossier Médical Partagé pour vérifier les ordonnances enregistrées.
Les médicaments en vente libre sont-ils pris en compte dans la réconciliation ?
Absolument. L’aspirine, l’ibuprofène, les somnifères en vente libre, les laxatifs, les antihistaminiques - tous peuvent interagir avec vos médicaments sur ordonnance. Beaucoup de patients pensent que « ce n’est pas un vrai médicament », mais c’est faux. Incluez-les tous dans votre liste, même s’ils sont pris « de temps en temps ».
La réconciliation médicamenteuse après une sortie d’hôpital n’est pas une formalité. C’est une question de vie ou de mort. Vous n’êtes pas un numéro dans un dossier. Vous êtes le seul à connaître exactement ce que vous prenez, ce que vous ressentez, et ce qui vous fait peur. Ne laissez personne d’autre décider pour vous. Posez les bonnes questions. Exigez des réponses claires. Et si vous avez un doute - attendez. Pas pour une journée, pas pour une semaine. Pour la vie.