Quand votre système immunitaire est affaibli, même un simple rhume peut devenir une urgence. Pour les patients immunodéprimés, chaque médicament pris - même celui prescrit pour sauver leur vie - peut cacher un risque invisible. Ce n’est pas une question de « immunodéprimés » comme un mot technique. C’est une réalité quotidienne : une fièvre qui ne vient pas, une toux qui ne s’arrête pas, une plaie qui ne guérit pas. Et tout cela, parce que le corps ne réagit plus comme avant.
Qu’est-ce qu’être immunodéprimé ?
Être immunodéprimé, ce n’est pas juste être un peu plus sensible aux infections. C’est avoir un système immunitaire qui ne fonctionne plus correctement - soit à cause d’une maladie comme le VIH, la leucémie ou un lupus, soit à cause des traitements qu’on prend pour contrôler ces maladies. Les médicaments comme les corticostéroïdes, la méthotrexate ou les biothérapies sont essentiels pour arrêter une attaque du corps contre lui-même, ou pour empêcher un rein transplanté d’être rejeté. Mais en freinant l’immunité, ils ouvrent la porte à des infections que le corps normal aurait facilement éliminées.Le risque n’est pas le même pour tout le monde. Une personne sous 5 mg de prednisone par jour a un risque faible. Mais à 20 mg ou plus, le risque d’infection double. Selon une méta-analyse de 71 études impliquant plus de 4 000 patients, ceux qui prenaient des corticostéroïdes avaient 12,7 % de chances de développer une infection grave, contre 8 % chez les patients témoins. C’est une différence concrète, mesurable, et elle ne se limite pas aux infections bactériennes.
Les médicaments et leurs dangers spécifiques
Tous les immunosuppresseurs ne sont pas égaux. Leur mécanisme d’action détermine le type d’infection qu’ils rendent plus probable.Corticostéroïdes (prednisone, dexaméthasone) : ils réduisent l’inflammation en bloquant la production de cellules immunitaires. Leur gros piège ? Ils masquent les signes classiques d’infection. Pas de fièvre ? Pas de rougeur ? Pas de douleur ? C’est normal… sauf que ça ne l’est pas. Un patient sous cortico peut avoir une pneumonie sévère sans fièvre, juste une fatigue extrême. C’est pourquoi les médecins doivent regarder autre chose : la fréquence respiratoire, l’oxygénation, les taux de CRP. Et surtout, ne pas attendre que les symptômes soient « typiques ».
Méthotrexate : souvent prescrit pour l’arthrite rhumatoïde ou la spondylarthrite. Près de la moitié des patients arrêtent ce médicament dans l’année à cause des effets secondaires : fatigue intense, nausées, bouche sèche, perte de cheveux. Pourtant, 70 % disent que c’est le seul traitement qui contrôle vraiment leur maladie. Le danger ? Une baisse des globules blancs, qui peut tomber à des niveaux critiques sans qu’on s’en rende compte. C’est pourquoi un bilan sanguin mensuel est obligatoire les premiers mois.
Azathioprine : elle diminue les lymphocytes T et B, les cellules qui reconnaissent les virus et les bactéries. Son risque le plus grave ? La leucopénie. Mais aussi des infections rares : la pneumonie à Pneumocystis jirovecii, la réactivation du virus de l’herpès zoster, ou même une maladie cérébrale mortelle appelée leucoencéphalopathie multifocale progressive (PML), causée par un virus normal chez les personnes en bonne santé, mais mortel quand l’immunité est éteinte.
Biothérapies (anti-TNF comme l’adalimumab) : ce sont les plus efficaces contre l’inflammation, mais aussi les plus dangereuses en termes d’infections. Les patients sous biothérapie ont 2 à 3 fois plus de risques d’infections sévères que ceux sous méthotrexate seul. Des cas rapportés sur des forums de patients décrivent des hospitalisations pour herpès zoster étendu, des infections pulmonaires à Nocardia, ou des réactivations de l’hépatite B. Un patient sur 10 sous anti-TNF développe une infection grave dans les deux premières années.
Cyclosporine et tacrolimus : utilisés après une greffe, ils bloquent une voie spécifique de l’activation immunitaire. Leur risque ? Les infections virales : CMV, EBV, polyomavirus. Et aussi un risque accru de cancers de la peau, car le système qui détecte les cellules anormales est en mode veille.
Combinaisons : le risque multiplié
Prendre deux immunosuppresseurs ensemble n’ajoute pas les risques - il les multiplie. Un patient sous prednisone + méthotrexate a un risque d’infection bien plus élevé que la simple somme des deux. Et si on ajoute un biothérapeutique ? Le risque explose. Les médecins savent cela. C’est pourquoi ils évitent les associations sauf quand c’est absolument nécessaire. Et même alors, ils surveillent comme des loups : bilans sanguins hebdomadaires, tests virologiques, scanner thoracique à la moindre suspicion.
Les infections qui ne ressemblent à rien
Les patients immunodéprimés ne présentent pas les infections comme tout le monde. Pas de fièvre ? Pas de toux ? Pas de douleur ? Ce n’est pas qu’ils sont « moins malades ». C’est que leur corps ne réagit pas. Une infection urinaire peut ne pas faire mal. Une pneumonie peut ne pas faire tousser. Une infection du sang peut se manifester par une confusion mentale ou une simple perte d’appétit.Le Dr Francisco Aberra, dans une étude citée par la communauté médicale, a montré que les corticostéroïdes « atténuent les signes classiques d’infection ». Cela veut dire : si vous avez un patient sous prednisone qui a une température de 37,2 °C, il ne faut pas penser « ce n’est pas grave ». Il faut penser : « c’est peut-être le début d’une septicémie ».
Et puis il y a les infections que les gens n’imaginent même pas. Le tétanos, après une simple égratignure. La listériose, après avoir mangé un fromage au lait cru. La dengue, après un voyage en Martinique. Le CDC rappelle que les immunodéprimés sont plus vulnérables aux maladies transmises par les moustiques et les tiques - pas parce qu’ils sont plus attirants, mais parce que leur corps ne peut pas combattre le virus une fois qu’il est entré.
La vaccination : un bouclier fragile
Avant de commencer un traitement immunosuppresseur, il faut faire le point sur les vaccins. Les vaccins vivants - comme ceux contre la rougeole, la varicelle ou la fièvre jaune - sont interdits. Ils peuvent provoquer la maladie qu’ils sont censés prévenir. Mais les vaccins inactivés - grippe, pneumocoque, hépatite B, coqueluche - sont essentiels. Le problème ? Ils ne marchent pas aussi bien. Le système immunitaire est trop affaibli pour répondre correctement.Une étude de 2023 montre que les patients sous biothérapie produisent 4 à 5 fois moins d’anticorps après le vaccin contre la grippe que les personnes en bonne santé. Pour la COVID-19, les données de Johns Hopkins en 2021 ont surpris : malgré les craintes, les patients immunodéprimés n’avaient pas un taux de mortalité plus élevé que les autres. Ce qui suggère que l’immunosuppression ne fait pas toujours empirer les infections - parfois, elle empêche une réaction trop violente du corps. Mais ça ne veut pas dire qu’on peut baisser la garde. Les recommandations sont claires : 3 doses de vaccin COVID-19, rappel tous les 6 mois, et un traitement préventif (comme le Paxlovid) dès le premier signe d’infection.
La vie au quotidien : comment se protéger
Il n’y a pas de formule magique. Mais il y a des gestes simples qui sauvent.- Se laver les mains 20 secondes, avec du savon, en frottant entre les doigts et sous les ongles. Pas juste un coup de gel.
- Porter un masque dans les transports en commun, les hôpitaux, les grandes surfaces en période d’épidémie.
- Éviter les foules pendant la saison grippale.
- Ne pas toucher les animaux malades, ni les excréments de pigeons (risque de cryptococcose).
- Ne pas manger de fromages non pasteurisés, de charcuterie crue, de poissons crus.
- Nettoyer toute plaie, même minuscule, avec du savon et un antiseptique.
- Ne pas se faire de tatouages ou de piercings pendant le traitement.
Et surtout : ne pas attendre. Si vous avez une fièvre de 37,5 °C, une fatigue inexpliquée, une toux qui dure plus de 48 heures, ou une plaie qui ne guérit pas - appelez votre médecin. Pas demain. Maintenant.
Les patients parlent
Sur les forums, les témoignages sont contradictoires. Certains disent : « J’ai perdu 20 kg en 3 mois à cause de la méthotrexate. » D’autres : « J’ai repris la vie normale après la greffe, grâce au tacrolimus. »Un patient sur Reddit raconte avoir eu un herpès zoster étendu sur le torse, après 18 mois sous adalimumab. Il a passé 10 jours à l’hôpital. « Je pensais que j’étais protégé. Je n’ai jamais imaginé que le traitement qui me sauve la vie puisse me tuer. »
Un autre, greffé du rein, dit : « Le tacrolimus me fait trembler les mains, me donne des maux de tête, et je dois me faire piquer tous les mois. Mais je peux jouer avec mes enfants. Je préfère ça. »
La vérité, c’est qu’il n’y a pas de bon choix. Il y a des compromis. Et chaque décision doit être prise en connaissance de cause - pas par habitude, pas par pression, mais après avoir compris : quels sont les risques réels ? Quels sont les bénéfices réels ?
Le futur : des traitements plus ciblés
La recherche avance. Les inhibiteurs de JAK, comme le tofacitinib, agissent sur une voie plus précise que les biothérapies traditionnelles. Moins de suppression globale. Moins d’infections. Les premiers résultats sont prometteurs.Et demain ? Des tests génétiques pour prédire qui réagira mal à la méthotrexate. Des biomarqueurs sanguins pour détecter une infection avant qu’elle ne devienne grave. Des algorithmes qui ajustent la dose en temps réel selon les résultats des analyses.
Le problème, c’est que la résistance aux antibiotiques augmente. L’OMS estime que d’ici 2050, 10 millions de personnes mourront chaque année d’infections résistantes. Et les immunodéprimés seront les premières victimes.
La clé, aujourd’hui, c’est la vigilance. Pas la peur. La connaissance. Et le dialogue avec son médecin - pas comme un patient passif, mais comme un acteur du traitement.
Les patients immunodéprimés peuvent-ils se faire vacciner contre la grippe ?
Oui, mais uniquement avec les vaccins inactivés, pas avec les vaccins vivants. Le vaccin contre la grippe injectable est recommandé chaque année. Cependant, il est moins efficace chez les immunodéprimés : leur système immunitaire produit moins d’anticorps. C’est pourquoi des doses supplémentaires ou des vaccins à haut dosage sont parfois prescrits. Il ne protège pas à 100 %, mais il réduit le risque de formes sévères.
Une simple infection peut-elle être mortelle pour un immunodéprimé ?
Oui. Une infection bénigne pour une personne en bonne santé - comme une infection urinaire, une bronchite ou une plaie cutanée - peut rapidement évoluer en septicémie, pneumonie ou infection du sang chez un immunodéprimé. Le corps ne peut pas lutter. Les germes se multiplient sans contrôle. C’est pourquoi tout symptôme, même léger, doit être pris au sérieux et évalué rapidement par un médecin.
Faut-il arrêter les immunosuppresseurs si on tombe malade ?
Pas toujours. Cela dépend du médicament, de la maladie et de la gravité de l’infection. Par exemple, un patient sous méthotrexate avec une infection bénigne peut garder son traitement, mais avec un suivi sanguin renforcé. En revanche, un patient sous biothérapie avec une infection sévère doit généralement arrêter le traitement jusqu’à guérison complète. L’arrêt doit toujours être décidé par le médecin, jamais par le patient lui-même.
Pourquoi les corticostéroïdes masquent-ils les signes d’infection ?
Les corticostéroïdes réduisent l’inflammation, qui est la réponse naturelle du corps à l’infection. La fièvre, la rougeur, la douleur, le gonflement - ce sont tous des signes d’inflammation. En les bloquant, les cortico rendent les infections plus difficiles à détecter. Un patient peut avoir une appendicite sans douleur, ou une pneumonie sans fièvre. C’est pourquoi les médecins doivent chercher d’autres indices : taux de CRP, numération des globules blancs, imagerie médicale.
Les patients immunodéprimés doivent-ils éviter les voyages ?
Ils ne doivent pas les éviter, mais les préparer avec soin. Avant tout voyage, consulter un spécialiste en médecine des voyages. Vérifier les vaccins nécessaires (inactivés seulement). Éviter les régions avec des épidémies de maladies transmises par les moustiques (dengue, Zika, chikungunya). Ne pas boire d’eau du robinet, ne pas manger de fruits non pelés, éviter les plats crus. Porter des vêtements longs et un répulsif contre les moustiques. Et toujours avoir un plan d’urgence médical en cas de maladie à l’étranger.
Les patients immunodéprimés ont-ils plus de risques de cancer ?
Oui. Les immunosuppresseurs réduisent la capacité du corps à détecter et détruire les cellules cancéreuses. Le risque est particulièrement élevé pour les cancers de la peau (mélanome, carcinomes), les lymphomes et certains cancers liés aux virus (comme le cancer du col de l’utérus lié au HPV). Une surveillance dermatologique annuelle est recommandée, ainsi qu’un dépistage régulier selon les recommandations du médecin.